Jardins de Bernatère : "abandon" (?)
Abandon
Le temps a passé et l'homme s'est retiré. Pour plusieurs raisons qu'il ne nous appartient pas de connaître, on a laissé ici la nature reprendre le jardin, d'abord les chemins, puis le potager, la serre, etc.… L'habitant est parti quelques temps, les animaux ne sont pas restés, et tranquillement la forêt recommença de s'insinuer dans le jardin.
L'avenir ici n'est pas écrit, le projet reprendra peut-être, et si oui sous quelle forme? Peut-être faudra-t-il être plusieurs pour le mener, l'enrichir d'autres ambitions… enfin, autant de choses à inventer.
Dans cet abandon apparent, pourtant, on ne peut en aucun cas voir un échec. Les jardins aujourd'hui en friche sont en réalité extrêmement instructifs. La nature n'a jamais été chassée d'ici, l'intention n'a jamais été de la repousser, et, dans le jeu des disparitions qu'elle propose, elle nous rappelle qu'au contraire, après chaque intervention de l'homme, il fallait regarder comment la vallée l'acceptait. Là est le dialogue. Revenir après quelques années "d'inactivité" humaine, c'est comme écouter un long monologue de la forêt que l'on découvre par de longues balades dans les jardins, dans la découverte de ce qui reste, de ce qui n'est plus.
On se souvient alors que la raison profonde de ce projet, que les motivations qui ont amené un homme à se plonger au coeur de la nature, sont au moins à l'échelle des grands questionnements métaphysiques que nous imposent notre époque. Alors que de plus en plus nous nous désintéressons des courants internationaux, économiques et politiques, puisqu'ils sont devenus aussi impalpables et incontrôlables que la fumée d'un feu de bois, c'est ici tout le rapport entre l'homme et la Terre que ces jardins expérimentent.
Aujourd'hui
Oui, voir détruits les ouvrages d'il y a quatre ans est poétique, oui la friche n'est pas un recul mais une proposition de la nature sur ce lieu. Tous ceux qui s'intéressent un peu au paysage, au territoire ou au rapport entre l'homme et l'espace le savent, au moins, s'en doutent; les lieux créés par l'homme puis abandonnés sont les tableaux de la relation homme nature. Et combien notre génération en produira, dans l'étalement galopant des zones périurbaines, dans le dédain de l'espace agricole. Préparons nous à être archéologue de tout ce qui se détruit.
Mais ici dans ce jardin on revient vivre, par épisode, doucement, il ne faut pas briser ce qui a été dit pendant notre absence. Il faut prendre le temps de voir, de lire, de comprendre tout ce qui a bougé et pourquoi, avant de réécrire dessus.
Théophile Vallée